tisser mille gestes mineurs,
l'improvisation en questions



"journal de traces"
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"How can we touch the making of the work, its implicit movement? An object can never be completely framed. One can never completely encircle it. Not only because the object resists a general perception - its transversality cannot be reduced to the experience of a single witness - but because the object also carries, itself, the color of time. This color is synesthetic : it overflows of a predetermined sense which would like to localize it in time. The object is thus never quite "itself." It is relational, ecological. It participates, as Isabelle Stengers would say, in an ecology of practices. And it gives a sense, a direction, to the ecologies that it co-composes. This description of the object opens to the concept of the minor gesture. The object vibrates with potential minor gestures. These minor gestures are what invite the object to open itself towards its transformation, to its internal variation."
“Comment toucher le faire-oeuvre de l'oeuvre, son mouvement implicite? Un objet ne peut jamais être complètement cadré. On ne peut jamais complètement le cerner. Pas seulement parce que l'objet résiste à une perception générale - sa transversalité ne peut être réduite à l'expérience d'un seul témoin - mais parce que l'objet porte aussi, lui-même, la couleur du temps. Cette couleur est synésthésique : elle déborde d'un sens prédéterminé qui souhaiterait le localiser dans le temps. L'objet n'est donc jamais tout à fait "lui-même." Il est relationnel, écologique. Il participe, comme le dirais Isabelle Stengers, dans une écologie des pratiques. Et il redonne un sens, une direction, aux écologies qu'il co-compose. Cette description de l'objet s'ouvre au concept du geste mineur. L'objet vibre de gestes mineurs potentiels. Ces gestes mineurs sont ce qui invite l'objet à s'ouvrir vers sa transformation, à sa variation interne.”
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Réalisé à l’automne 2021, ce passage d'auto-entretien décrit une expérience qui s’est déroulée au printemps 2016 dans la forêt de Saou (Diois), pendant un temps de pratique en archeopia. Une des partitions en archeopia s’appelle La marche absorbante_MaAb[1]. Lorsque le moment ci-dessous a lieu, je suis en train de terminer une session de pratique de la MaAb, juste avant de sortir de la forêt, et à ce moment-là je m’installe 'spontanément' dans la pratique de la Small Dance[2]. Ce moment précis de l’auto-entretien est focalisé vers la description d’un moment où se manifeste ce qui s'apparente à une sorte de dialogue tonique et affectif en partage avec un sous-bois.
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En même temps il y a l’odeur de terre.
Mais c’est la texture qui est au premier plan.
Ah oui en fait il y a une tonalité, voire une « infra mélodie », qui vient en même temps que ces images-textures.
Ce n’est pas vraiment en même temps, les deux images-textures…
Plutôt comme si je m’y connecte, ou ça se connecte à moi en alternance :
Balancement collectif des cimes.
Les intervalles « cimes » sont lents.
Le “moment cimes” est comme un chant collectif, comme un chœur qui ferait “oh..oh..oh..”
Je le sais dans mon corps, que la mélodie des cimes est en continu.
Ça se balance à partir de l’intérieur de mon squelette, en lien avec le mouvement des cimes
que je vois mentalement
et que j’entends et sens donc, depuis l’intérieur des os.
Ce qui me vient c’est que c’est … émouvant. Littéralement.
Ça me meut dans une émotion commune avec le collectif d’arbres que j’aperçois comme en “infra”…
Ça vient du sous-sol, des racines, en même temps que des cimes en fait.
C’est très aigu, très fin comme sensation…
Je dirais que la texture est épineuse… comme toucher le bout, l’extrême extrémité d’un corps…
Je sens le bout de mes doigts et le bout de mes épines dorsales, dans l’os.
C’est juste une surface très étroite de l’os, tout au bout de l’os, un point…
Ou plutôt une direction qui traverse depuis la pointe des os… Ce n’est pas facile à décrire.
L’image qui me vient, c’est comme si j’étais un oursin mais au lieu des radioles (épines- membres) ce seraient des sortes de faisceaux, dirigés en toutes directions.
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[1] La MaAb pour Marche Absorbante [descriptif détaillé juste en dessous] est un des trois éléments de jeu mobilisés en archeopia. La MaAb est un 'protocole' structuré en deux phases qui se répètent en alternance, autant de fois que la joueuse-marcheuse en a le goût, le temps, l’élan. Ce 'protocole' - ou 'dispositif' ou 'structure' ou 'partition'... - s’est manifesté en 2016, comme une façon de formaliser les tendances que je repérais dans les sessions de travail depuis 2007.
[2] La Small Dance, Petite Danse, aussi appelée The Stand, est une pratique développée par Steve Paxton depuis la fin des années 1960 et qui consiste en une étude de la station debout, de l’intérieur, c’est-à-dire en tenant debout, attentivement.